dimanche 23 septembre 2012

Simone remet Raoul en place


- Chéri, je vais au sport !

- Heu... tu plaisantes là j'espère ?

- J'en étais sûre...

- Tu étais sûre de quoi ?

- Tu vas me prendre le chou parce que j'ai mis quelque chose de moulant ?

- Quelque chose de moulant ? Mais si c'était plus moulant ça te comprimerait les amygdales ! Et le chou, ils vont être plusieurs à vouloir te le prendre ! T'as qu'à y aller les lèvres au vent aussi au sport, ils vont adorer tes collègues de cardio !

- Oh dis donc Benoît XVI, quand tu vas à la piscine avec ton moule-machin, t'as pas l'air profondément outré par l'impudeur que tu proposes ! Toutes ces pauvres mères de famille qui viennent brasser tes fantasmes, tu imagines ce que tu leur imposes ?

- Mon moule-machin ? Mais tu as choisi d'être aussi élégante que ton costume ma chérie aujourd'hui !

- Quoi ? Tu veux que je sois plus directe ? Tu ne vas pas aimer Raoul, c'est vulgaire tu sais...

- Tu n'oseras pas... Tu as horreur de ces mots-là...

- Ton moule-bite ! Ton moule-burnes ! Ton moule-couilles ! Ton moule-ego ! Ton moule-fierté ! Ton moule-je-me-la-raconte ! Ton moule-regardez-comme-ma-femme-a-de-la-chance ! Ton moule-vous-pouvez-regarder-c'est-cadeau !

- C'est toujours moins vulgaire qu'un moule-moule !

- Un moule-moule ??? Alors là tu tombes très bas mon pauvre amour... Tu vois, ça c'est vulgaire !

- Je ne te le fais pas dire ! D'ailleurs, je suis sûr que ça vient de là l'expression "moulant" !

- Raoul, tu sais qu'après le sport je vais à un entretien et que je vais m'habiller pareil ?

- Si tu fais ça tu es vraiment la plus...

- La plus quoi ? La plus motivée pour décrocher un poste dans un marché atone ? Oui, c'est vrai...

- J'imagine que tu y vas sans lettre de motivation puisque le recruteur va pouvoir lire directement sur tes lèvres...

- Tu m'as toujours dit qu'il fallait être vraie, sincère, jamais superficielle, tu m'as toujours dit qu'il fallait qu'il y ait le moins d'écart possible entre l'être et le paraître, et bien voilà, je suis tes conseils à la lettre... Je me présente sans artifices.

- Mais si tu as la moindre émotion, ça va se voir !

- Bah et toi ? Quand tu as la moindre émotion, ça ne se voit pas dans ton moule-émotion ? C'est pareil.

- Mais pas du tout ! Nous ça fait partie de la culture masculine, on n'a rien demandé, on a inventé des maillots de bain et on les a mis, point.

- Voilà, c'est ça, c'est la culture masculine... Et ça fait partie de la culture masculine de vous remettre le puzzle en place toutes les trois minutes ? Parfois même en plongeant carrément la main dedans pendant que vous marchez au bord de l'eau ? Et ça fait partie de la culture masculine de mater les seins des voisines avec le rouleau à pâtisserie en tête de gondole ? C'est quoi le message ? Donne-moi ta pâte, je vais te pétrir de qualités ?

- Oh attends, c'est un peu facile ça ! Parlons-en des seins des voisines ! Vous ne les moulez même pas, vous nous les démoulez sous le nez ! Vous le faites bien pour qu'on les regarde non ? C'est comme ces décolletés de dingue là, tu ne vas pas me dire que c'est innocent ? C'est pour enflammer le désir et s'indigner qu'on puisse vouloir l'éteindre !

- C'est ça que vous ne comprenez pas, si on met un beau décolleté c'est pour mettre ses courbes en valeur, pour le plaisir du beau, pas pour les mettre sur le marché ! Donc, je persiste, quand vous avez une émotion, moulée ou pas, ça se voit, et ça se verra toujours plus que nous ! Nous, quand on a des émotions, on laisse bouillir à l'intérieur, on laisse le ventre et l'imagination s'électriser discrètement, on se la remet pas en place devant tout le monde notre émotion ! On la garde pour plus tard, et le soir, c'est vous qui mangez chaud, c'est pas le voisin de serviette qui mange gratos dans nos yeux qui débordent ! La culture masculine c'est open-bar toute l'année ? Alors d'accord, open-bar pour tout le monde !

- Attends, c'est un reproche là ? C'est pour ça que tu t'habilles comme ça ?

- Mais pas du tout... Disons que c'est dans la culture féminine de savoir envoyer les messages, de les faire passer avec des actions marquantes, de laisser une empreinte profonde dans la jalousie de l'autre puisqu'il faut bien ça pour concurrencer les mille petites empreintes quotidiennes qu'il laisse dans la nôtre...

- Simone, tu ne vas pas sortir comme ça franchement...

- Tu as de la chance, j'avais le même pratiquement transparent, mais je me suis dit que c'était un peu trop...

Bonne journée mon chéri...



F.P. - Septembre 2012

vendredi 14 septembre 2012

Rendez-vous




- Heu... excusez-moi Madame...

- Oui ?

- J'ai rendez-vous avec le docteur Geslin à 14 heures...

- Oui, mais ici c'est son cabinet, la salle d'attente c'est la pièce juste à côté. Je crois qu'il est en retard, je l'attends déjà depuis une demi-heure.

- Ah c'est son cabinet ! Je suis confus... Vous aviez rendez-vous à quelle heure ?

- 13h30

- Et vous venez pour quoi exactement ?

- Une extraction de dent de sagesse.

- D'accord... pardonnez-moi cette question Madame mais... pourquoi cette position ?

- Il m'a dit qu'il allait passer par l'autre côté pour ne pas abîmer mon sourire.

- Bon. Je vais y aller je crois, c'est mieux...

- Attendez ! Si vous avez rendez-vous à 14 heures, vous êtes donc prévu juste derrière moi ?

- Heu... oui.

- Et bien je vous en prie, prenez place, je ne serai pas venue pour rien.

- Pardon ?

- Prenez votre place, derrière moi... A mon avis, il ne va pas venir avant un moment là...

Pendant de longues minutes, de très longues minutes, Raoul prit un plaisir fou à extraire toute la sagesse de cette délicieuse patiente qui était très loin de l'être. Puis il retourna en salle d'attente. Au moment où il décida de partir, le Docteur Geslin entra dans la pièce :

- Ah mais vous êtes là, je vous cherche partout depuis un quart d'heure...

- Ah bon ? Mais... vous n'étiez pas dans votre cabinet rassurez-moi ?

- Bien sûr que si, où voulez-vous que je sois ?

Raoul ravale sa salive avec peine :

- Mais vous étiez où exactement dans votre cabinet ?

- Allez, suivez-moi, nous sommes en retard.

Le docteur invite Raoul à entrer dans une pièce qui n'est pas du tout celle dans laquelle il venait de passer un moment inoubliable.

- Vous avez plusieurs cabinets ?

- Non, je n'ai que celui-ci pourquoi ?

- Non, pour rien, avec toutes ces portes dans le couloir, je pensais que vous aviez plusieurs endroits pour pratiquer.

- Ah non non, vous avez la salle d'attente à gauche, les toilettes, et une chambre avec une superbe vue mais je ne peux pas vous la montrer, ma femme est venue s'y reposer aujourd'hui.

- Je vois de quoi vous parlez, elle est magnifique...

- Vous avez vu Simone ?

- Non, je parle de la vue, elle est vraiment superbe, j'ai déjà eu l'occasion de la voir en montant dans les étages.

- Ah oui ? Vous êtes monté jusqu'où ?

- Tout en haut...

- On voit tout, c'est fou non ?

- Ah oui, on voit tout, absolument tout... C'est plus que fou...

- On a l'impression de dominer le monde, de pouvoir le conquérir !

- J'ai eu cette impression oui... mais j'étais moi-même bien plus conquis...




Franck Pelé - Septembre 2012 - Textes déposés SACD